Les séries ont un impact croissant sur l’imaginaire des adolescents. Comment abordent-elles les questions relatives à la sexualité ? Quelle sociabilité se constitue autour de ces séries et des leurs « fans » ? Une enquête répond à ces questions.


Acteurs Hearstopper

William Gao, Patrick Walters, Sebastian Croft et Joe Locke, acteurs récompensés pour la série HeartStopper au Children’s & Family Emmys à Los Angeles en décembre 2022. Tommaso Boddi

Les séries sont de plus en plus regardées par divers publics comme signale le phénomène « peak TV » qui désigne l’explosion du nombre de séries diffusées aux États-Unis depuis le début des années 2000. Une partie nos représentations et de nos pratiques sont donc traversées par ces imaginaires sériels. C’est particulièrement vrai pour les jeunes générations.

Notre projet de recherche intitulé « Sexteen » interroge ce que les séries à destination des adolescents (« les teen séries ») font aux adolescents et adolescentes en matière de genre et de sexualité et inversement, ce que ces derniers font des séries qu’ils regardent et partagent collectivement.

Cet article se focalise sur ce double mouvement que le projet Sexteen a développé dans un livre intitulé Teen Series. Genre, sexe et séries pour ados. Pour cette enquête, nous avons mené une centaine d’entretiens et étudié les 8 séries les plus regardées sur les plates-formes de streaming (notamment Netflix) en fonction d’un sondage représentatif portant sur un millier de personnes (dont 40 % de lycéens, 15 % de collégiens et 40 % d’étudiants jusqu’en première année de faculté).

Des représentations multiples dans les séries

Les séries les plus regardées mettent en avant de nombreuses thématiques et questionnements. Comment envisager une première fois (Sex Education ou HeartStopper) ? [« Comment vivre son « crush » selon le terme étudié par la sociologue Christine Detrez ; Comment dire sa transidentité (HeartStopper) ? Comment évoquer les addictions (Skins) ? Comment faire couple après l’éclosion du mouvement #MeToo (Sex Education) ?

Ces séries nous laissent entrevoir trois grandes mutations dans les productions audiovisuelles. La première : une complexification des thématiques abordées. La visibilité des personnages lesbiens, trans ou asexuels par exemple n’est plus cantonnée à des narrations périphériques : elle s’ancre dans des figures centrales à qui les séries consacrent des épisodes entiers. La seconde : une plus forte identification des personnages et des spectateurs. Il n’est plus question que les adolescents soient uniquement joués par de jeunes adultes (on pense par exemple aux « adolescents » » de la série Beverly Hills dans les années 1990) et plus encore, que des minorités (notamment de genre ou de sexualité) soit constamment incarnées par des acteurs ou des actrices non concernés. La troisième : la place des fans. Les réseaux sociaux ont permis aux communautés de se densifier, d’échanger plus rapidement et d’influencer plus directement les productions.

Notre enquête montre également que les adolescents qui regardent ces séries ne sont pas passifs ou passives. Les réceptions sont plurielles et amènent certains publics adolescents à créer des contenus et engager des dialogues féconds autour des narrations et des personnages. À la manière des travaux de Mélanie Bourdaa sur les fans, il convient de mettre en lumière les pratiques de ces spectatrices et spectateurs : ils et elles commentent sur les réseaux sociaux, participent à des forums, lisent des livres autour des séries, rencontrent d’autres fans, produisent des vidéos, des dessins, des écrits, des playlists sur la base des œuvres. Cela peut même aller jusqu’à un activisme culturel, social ou politique dans lequel les publics s’emparent des narrations et personnages pour mener des actions qui leur tiennent à cœur.

Par exemple, lors de la mort de Lexa, personnage lesbien de la série The 100, les fans s’étaient saisies de la narration et des valeurs du personnage pour lever des fonds destinés à une association aidant les jeunes LGBTQIA+ qui tentent de se suicider. C’est toute une communauté, des réseaux, des solidarités (et parfois quelques oppositions franches, avouons-le) qui se tissent alors.

Témoignages d’ados

Certains témoignages lors de notre enquête illustrent parfaitement les grandes tendances et pratiques évoquées.

Maxence, lycéen, a longtemps regardé la série Elite. Il évoque avec nous les soirées avec ces amis autour de la série :

« C’est simple, le week-end c’est “Elite”. On y passe des heures. On a des teams pour tel ou tel personnages. C’est drôle d’y repenser car en fait on a des potes qui n’étaient pas nos potes à l’origine mais qui se sont greffés à nous et maintenant ils font partie du groupe […] On a aussi eu un coming out. C’était super fort. Un pote nous a dit qu’il trouvait très sexy Manu Rios (Patrick Blanco dans la série) et les filles étaient d’accord et tout. Alors on a commencé à la charrier et il nous a dit qu’il était gay. Bon, on avait l’air con parce qu’on ne savait pas et qu’on s’en fout alors on ne voulait pas l’embêter avec ça. Et puis on a trouvé ça super qu’il nous fasse confiance et qu’il se sente bien pour nous le dire. Rien que pour ça c’est cool qu’on puise regarder la série ensemble. »

Pierre et Stéphane sont en couple depuis cinq ans. Étudiants dans une université parisienne, ils regardent HeartStopper et s’empressent d’acheter tout ce qui sort autour de la série.

« Avec des amis nous sommes partis à la Pride de Londres. Il y avait un groupe de fans de la série qu’on a rejoint. Les acteurs et la série défilaient aussi : c’était fantastique de se dire qu’on partageait ça avec eux. »

L’importance de la communauté, analysée pour des chanteuses comme Taylor Swift, permet de comprendre le levier socialisateur des séries, mais aussi le rôle des teen séries dans la construction identitaire des jeunes.

La question du coming out, que l’on voit dans la série Glee, est une question centrale mais peu traitée dans les séries. Pourtant, lorsque les personnages (Kurt et Santana) vivent ces moments de dévoilement identitaire à leur famille et amis, ils proposent des modèles pour les jeunes publics. Ainsi, la série a permis aux fans de produire des discours sur leur propre identité sexuelle et sur leur propre vie. Ainsi, une fan qui regardait la série et interagissait sur les blogs, déclare :

« J’étais sereine, je respirais enfin. Je n’avais plus besoin de me cacher. Santana découvrait sa sexualité en même temps que moi. Son histoire m’a vraiment aidée à me projeter. »

Le personnage accompagne cette fan dans son évolution et la représentation à l’écran lui donne des clés de compréhensions et d’analyse de ce qu’elle vit.

La question de la première fois est également un thème abordé dans les teen séries, permettant de constater une évolution de la représentation. En effet, les séries comme Beverly Hills, Sauvés par le Gong ou Dawson montraient des expériences de première fois stéréotypées avec des garçons sûrs d’eux et des filles inexpérimentées. Les teen séries contemporaines développent des histoires plus nuancées, des expériences plus complexes, abordant par exemple la question de la santé sexuelle, de la performance masculine pour les couples hétérosexuels (Sex Education) ou du consentement.

Ainsi, les teen séries se révèlent comme un objet essentiel pour comprendre les adolescents d’aujourd’hui – au sein des institutions éducatives, en famille ou dans la recherche universitaire.


Le projet Sexteen (sur les teen series) est financé par la Région Nouvelle-Aquitaine et porté par Mélanie Bourdaa, professeure des Universités à l’Université Bordeaux Montaigne.The Conversation

Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de Bordeaux et Mélanie Bourdaa, Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.